Un appartement, un scooter et des billets d’avion fournis par le club, ainsi qu’un salaire bien supérieur à celui de 95 % des habitants du pays dans lequel il évolue. En six mots : Antoine Lemarié est un footballeur professionnel. Et à bientôt 28 ans (le 9 février), après avoir davantage bourlingué que Phileas Fogg, il savoure ce privilège bien plus qu’un gamin de 17 ans programmé pour accéder au plus haut niveau. Afin de vivre « ce rêve depuis tout petit », le milieu de terrain s’est envolé à 10.000 km de Paris, au Cambodge.
Début décembre, il s’est engagé avec Boeung Ket, club de milieu de tableau de la L1 locale, basé dans la capitale Phnom Penh. « C’est la première fois que je signe un contrat 100 % pro, sans avoir besoin de travailler à côté, savoure le natif de Thiais (Val-de-Marne), qui a grandi du côté d’Aix-en-Provence puis traîné ses crampons à Singapour, en Australie, en Angleterre, en Finlande et en Grèce avant ce retour en Asie. J’ai des conditions de vie exceptionnelles, il fait toujours chaud. Je suis mieux ici que dans un club de 5e division en France. »
Pour être exact, Antoine Lemarié, qui se définit comme « un joueur technique, pas très rapide, avec une bonne endurance et une très bonne qualité de frappe » ne vit pas que du foot. Sa chaîne YouTube, suivie par près de 20.000 abonnés, lui permet de toucher « un petit revenu complémentaire » depuis que son nombre de vues a explosé à l’issue de sa pire expérience d’expatrié : près de 100.000 visionnages pour une vidéo où il revient sur le cauchemar vécu début 2023 au Paniliakos Pyrgo (D3 grecque).
Appartement vétuste avec traces d’urine et cafards morts en options, promesses financières non tenues, menaces et agression par le président du club… Aujourd’hui, le Français a laissé derrière lui ce souvenir douloureux. « Le pseudo-agent qui m’a amené là-bas a été récemment placé en garde à vue et va bientôt passer en procès », indique celui qui a commencé à partager sa vie sur YouTube pendant le confinement du printemps 2020.
Singapour a tout changé
« Je recevais pas mal de messages, explique ce fan du PSG. Des personnes me demandaient : « comment as-tu fait pour trouver des clubs à l’étranger ? » Chaque fois, je répondais la même chose. Donc je me suis dit : « pourquoi ne pas faire une vidéo pour expliquer mon parcours ? » »
Antoine Lemarié suivait aussi les vidéos de Valentin Liénard, actuel défenseur de Thonon Evian Grand Genève (National 2, quatrième division), qui affiche 385.000 abonnés sur sa chaîne YouTube où il raconte sa vie et ses matchs de footballeur amateur. « La différence, c’est que lui est passé par des centres de formation, à Nice et Monaco », reprend Lemarié.
Un parcours à mille lieues du sien. Ses études le destinaient au journalisme, plutôt sportif, mais la vie a joué les scénaristes façon Netflix. A l’été 2016, des vacances à Singapour, où vivent son oncle et sa tante, font basculer son destin. « Mon oncle faisait du tennis dans un club multisport et mon cousin et moi jouions au foot à côté. Notre ballon était dégonflé et j’ai demandé à l’entraîneur d’une équipe si je pouvais utiliser sa pompe. Il m’a proposé de venir m’entraîner avec eux. » Finalement, le « Frenchie » décroche des essais dans plusieurs équipes singapouriennes, prévus pour le mois de janvier suivant.
Entre-temps, de retour à Aix, il enchaîne les petits boulots afin d’amasser l’argent nécessaire à l’aventure qui s’annonce. Si les essais ne débouchent pas sur un contrat, un entraîneur local lui donne un tuyau pour jouer en Australie. « Je n’avais presque plus d’argent et je m’apprêtais à rentrer en France. Mais je me suis dit : « autant tenter l’aventure jusqu’au bout ». » Après un long périple touristique en Asie pour profiter de l’année sabbatique qu’il s’était octroyée, la grande aventure pouvait commencer, rapidement résumée ci-dessous :
- Forrestfield (club de Perth, D2 australienne). « C’était semi-pro, on s’entraînait trois fois par semaine. A côté de ça, j’ai été voiturier dans un hôtel de luxe et serveur dans un restaurant français. Mais mon visa expirait et je n’ai pas pu finir la saison. »
- Retour en France pour finir les études de journalisme, puis départ pour l’Angleterre. Après un an sans jouer et l’envoi d’innombrables mails, Lemarié débarque à Farsley (club de Leeds, D6 anglaise). « Je suis resté deux mois, je me suis rendu compte que ça n’allait pas le faire. On m’avait dit que j’allais commencer en réserve mais que je n’allais pas y rester. Mais rien n’a évolué. Or, seuls les joueurs de l’équipe première étaient payés. »
- L’épopée finlandaise dans des clubs de D3 : FC Espoo, Jyväskylä, Vaajakoski. Rentré en France en décembre 2019, le globe-trotteur contacte un ancien coéquipier, un Finlandais qui a vécu en France pendant son enfance avant de repartir au pays. « Il m’a dit que je pouvais venir faire des essais, ça avait l’air bien. J’ai signé mon contrat avec le FC Espoo, et le Covid est arrivé juste après. » Pas de quoi arrêter Antoine Lemarié. Le gaucher fait son trou au pays de Jari Litmanen, arrondit ses fins de mois en travaillant dans une société de déménagement, en donnant des cours de français ou même en vendant des glaces à Helsinki…
- Le traquenard en Grèce, avec le soleil et un salaire sympa (environ 1.000 euros par mois) comme appâts puis retour en Finlande, au Rops, club de Rovaniemi. Cette saga lui inspirera 16 épisodes sur YouTube intitulés « Je signe au Pôle Nord » plus quelques extras dont des vidéos sur « le plus beau but de [sa] carrière » (une frappe de 40 mètres) et sur les playoffs qui déboucheront sur une accession en D2.
- Le Cambodge, enfin en terre promise. « Pour la Ligue 1 et les championnats européens, la marche était sans doute trop haute, mais l’Asie était restée dans un coin de ma tête. Chaque fin de saison, j’envoie des vidéos avec mes « highlights », soit à des agents, soit aux clubs directement. Un ex-coéquipier m’avait donné le contact d’un agent thaïlandais qui n’est revenu vers moi qu’un mois après l’envoi de la vidéo. Après la mésaventure grecque, j’étais méfiant. » Finalement, le Graal, ou pas loin, était au bout.
« C’est une fierté, conclut Antoine Lemarié, fraîchement rejoint par sa compagne finlandaise. Mon parcours a été semé d’embûches, beaucoup auraient lâché après plusieurs saisons sans salaires. J’ai bien fait de m’accrocher, c’est ma récompense. J’ai été semi-pro, il me manquait le fait d’être un joueur professionnel. » C’est désormais chose acquise. Son bail actuel court jusqu’au terme de la saison, en mai. Ensuite ? Si l’aventure cambodgienne s’arrête là, le footballeur gyrovague se verrait bien poursuivre son épopée ailleurs en Asie. Et continuer à partager ses aventures sur YouTube.
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