Cambodge : la fête du sillon sacré

Le 8 mai 2023, après trois années d’interruption due à la pandémie de covid-19, la fête du sillon sacré, essentielle pour les paysans cambodgiens et symbole de l’importance que le roi accorde à l’agriculture, s’est tenue dans la province de Kampong Thom.

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Affiche réalisée par le ministère des Affaires étrangères pour l’édition 2023 de la fête du sillon sacré – Image fournie par l’auteur

Depuis des temps immémoriaux, le roi du Cambodge célèbre chaque année entre fin avril et début mai (la date exacte est déterminée par les bakous, astrologues de la cour) une cérémonie extrêmement importante, appelée en khmer « cérémonie royale du traçage du sillon par la charrue sacrée » (ព្រះរាជ​ពិធី​ច្រត់​ព្រះនង្គ័ល [préah reach pi-thi préah nung-kul]), couramment appelée en français la « fête du sillon sacré ». Cette cérémonie marque le début de la saison des pluies et des travaux agricoles.

La dernière édition de cette fête avait été célébrée en 2019 à Daun Keo, dans la province de Takeo. Elle a ensuite été annulée trois ans de suite en raison de la pandémie de covid-19.

Une fête ancienne

La première mention d’un roi labourant un chant lors d’une cérémonie royale se trouve dans le Ramayana, célèbre épopée indienne composée entre le IIIe avant notre ère et le IIIe siècle de l’ère commune. On ignore quand cette cérémonie fut introduite au Cambodge, mais il est probable que ce fut au début de l’indianisation du pays, avant même l’essor de l’empire khmer.
Auparavant, cette cérémonie était célébrée en grand pompe dans le Veal Men, champ royal qui se situe au nord du palais royal à Phnom Penh. Depuis plusieurs dernières années, la cérémonie se tient chaque année dans l’une des provinces du royaume.

Symboliquement, le roi conduit la charrue tirée par deux taureaux et ébauche le traçage du sillon. Plusieurs autres attelages suivent, menés par des dignitaires. Trois sillons sont tracés au total.
Cette fête était tombée en désuétude à l’époque du roi Ang Duong (r.1845-1859), mais été puis remise au goût du jour par le prince Sihanouk en 1960. En raison de la guerre civile, les célébrations furent de nouveau interrompues entre 1970 et 1994.

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Au centre, Sa Majesté le roi Sihamoni lors de l’édition 2023 de la fête du sillon sacré (Photographie : AKP)

Une fête commune à de nombreux pays d’Asie

Cette cérémonie ne se déroule pas uniquement au Cambodge. Elle se déroulait aussi en Chine. Pierre Poivre (1719-1786), dans ses Œuvres complètes, décrit ce qu’il appelle la « cérémonie de l’ouverture des terres », à laquelle il a assisté alors qu’il était à Canton (l’empereur déléguait à des mandarins dans toutes les régions de l’Empire le soin de célébrer cette cérémonie localement). (J’ai reproduit et commenté ce texte sur mon blog Khmerologie, ici.) La première mention dans les annales chinoises d’une cérémonie de ce type, appelée en chinois « réquisition du champ » (籍田 [jítián]) date de l’an 2 avant notre ère. Cette cérémonie a été perpétuée jusqu’à l’époque de la dynastie des Qing (1644-1911).

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Cérémonie du labourage faite par l’empereur de la Chine (Photographie : Images d’art, RMB-GP)

Au Vietnam également, sous l’influence de la civilisation chinoise, la cérémonie du sillon sacré fut introduite, en adoptant le nom chinois (prononcé en vietnamien [tịch điền]). La première mention de cette cérémonie date de 987. Elle s’est perpétuée jusqu’à l’époque coloniale, puis a été abandonnée. Les autorités vietnamiennes de la province de Ha Nàm (à 60 km au sud de Hanoï) ont récemment réinstauré ce qui est désormais devenu une fête populaire, appelée la « fête tịch điền », ou « fête des labours ». Elle est célébrée chaque année le 7ème jour du premier mois lunaire (la dernière édition a été célébrée le 28 janvier 2023). Là aussi, un sillon symbolique est tracé par un notable, censé assurer la fécondité de la terre et de bonnes récoltes.

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(Cette photographie provient du numéro 4, 6ème année du Bulletin des amis du vieux Hué ; elle illustre un article de J. Lan, « chef des Services agricoles et commerciaux de l’Annam », intitulé « Le riz : législation, culte, croyances ».)

L’Anglais John Crawfurd (1783-1868) décrit dans son Journal of an Embassy (…) to the Courts of Siam and Cochin China (Journal d’une ambassade aux cours du Siam et de Cochinchine) cette fête qui s’est tenue le 27 avril 1822, alors qu’il se trouvait au Siam. La cérémonie se tient encore aujourd’hui en Thaïlande. Par le passé, elle était également organisée en Birmanie.

Taureaux sacrés

La charrue royale est tirée par deux taureaux sacrés qui sont l’objet des soins attentifs de la part des bakous du palais royal. (Les bakous, qui sont des brahmanes, sont un vestige de l’ancien clergé royal cambodgien ; ils sont encore aujourd’hui chargés de certaines cérémonies royales d’origine brahmanique et font également office d’astrologues.) Les taureaux sont bien entendu choisis à l’issue d’une sélection rigoureuse et doivent satisfaire à certains critères anatomiques (pour plus de détails, voir ici l’article en français intitulé « Chrat Preah Nongkol » sur Wikipedia).

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Attelage de taureaux royaux tirant la charrue sacrée (Photographie : AKP)

Leur rôle est important, car après le labour, ils sont débarrassés de leur harnais et sont amenés devant sept plateaux contenant du riz, du maïs, des haricots, de l’herbe, du sésame, de l’eau et de l’alcool. Les plateaux qu’ils choisissent et dont ils consomment le contenu, ainsi que la quantité consommée, déterminent, pour les Cambodgiens, le succès ou non de la saison agricole qui est sur le point de commencer. Cette année, par exemple, les taureaux royaux ont consommé 95 % du maïs, des haricots et du riz, ce qui est signe que les récoltes de ces trois céréales seront bonnes. En revanche, la consommation de l’herbe ou de l’alcool est de mauvais augure. La signification exacte du choix des taureaux est interprétée par les bakous du palais royal.

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Taureaux royaux en train de déguster les mets offerts (Photographie : AKP)

Le roi de Meak et Me Huo

Le roi de Meak est un personnage important des cérémonies ; il représente le roi et conduit lui aussi un attelage. Son rôle est tenu par un dignitaire : cette année, c’était Son Excellence Nguon Ratanak, gouverneur de la province de Kampong Thom, qui conduisait le deuxième attelage. Le roi de Meak continue à tracer le sillon sacré après le roi. Derrière lui, Me Huo (rôle tenu cette année par l’épouse du gouverneur) sème dans le sillon tracé des grains de riz. Ces grains sont réputés porter chance, aussi, après la cérémonie, les paysans présents les prélèvent-ils et les mêlent-ils à leurs propres semences.

Une fête populaire

Au Cambodge, la fêté du sillon sacré est très populaire, au moins autant que l’autre grande fête cambodgienne : la fête des eaux. Le jour est férié, et chaque année, une foule joyeuse se presse pour assister à la cérémonie du traçage du sillon sacré. On trouve pêle-mêle des officiels de haut rang, des fonctionnaires, des militaires, des enfants des écoles, des paysans… Cette fête est également l’occasion d’expositions qui présentent les produits agricoles et artisanaux locaux.

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