La guerre du Viêtnam L’appel que de Gaulle prononce à Phnom Penh

, La guerre du Viêtnam L’appel que de Gaulle prononce à Phnom Penh

de l’Institut

Le jeudi 25 août 1966, le général de Gaulle quitte Paris pour un déplacement de vingt jours. Il l’entame par une première étape dans la Corne de l’Afrique, Djibouti, la Somalie, et l’Éthiopie ; puis il part pour l’Asie, passe trois jours au Cambodge, et s’envole ensuite vers la Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles-Hébrides (devenues le Vanuatu), avant de faire une ultime étape à Tahiti où est implanté notre centre d’expérimentation nucléaire (autrefois situé au Sahara). Le 11 septembre, il assiste même à un essai nucléaire, avant de rentrer en France.​

De Gaulle : Une rupture visionnaire

Le Général aura ainsi volontairement mêlé les étapes stratégiques et politiques. Au cœur de ce voyage, son arrêt à Phnom Penh lui donne l’occasion de prononcer, le 1er septembre, devant le prince Sihanouk et une foule de cent mille personnes, un discours en français dont l’essentiel est destiné aux Américains qui font la guerre dans le Sud-Viêtnam voisin. Discours qui fera date dans l’agenda international.​

L’Amérique avait fait la leçon aux Français pendant la guerre d’Algérie ; on n’est alors que quatre ans plus tard, la France lui retourne la leçon pour le Viêtnam. Le Général va saisir l’occasion de sa conférence de presse du 28 octobre 1966 pour le dire franchement : « Si nous proclamons ce qui nous paraît le plus utile et le meilleur pour tous, y compris les États-Unis, et qui peut-être se fera quelque jour, nous le faisons comme des gens qui ont donné l’exemple naguère, en Algérie, en prenant sur eux – et croyez-moi c’était méritoire ! – d’y laisser la place à la paix. »

Richard Nixon, qui n’est encore qu’un des leaders du Parti républicain et le rival du président Lyndon Johnson, dit alors : « Si l’Amérique abandonne le Viêtnam, l’Asie abandonnera l’Amérique. » Aux élections intermédiaires du 8 novembre, les républicains gagnent des sièges au Sénat, à la Chambre et des postes de gouverneur. Cela consolide bien la préparation de l’élection présidentielle de novembre 1968. Nixon sera candidat. Et élu.​

La guerre du Kippour Il y a cinquante ans, la guerre du Grand Pardon

Il décide que son premier voyage de président des États-Unis sera pour l’Europe à la fin du mois de février 1969. Il entend bien s’arrêter à Paris pour y rencontrer le général de Gaulle, dont il sait qu’il est en froid avec l’Amérique depuis son discours de Phnom Penh. Nixon en profite pour revenir avec lui sur la guerre du Viêtnam. Il l’interroge. Pour de Gaulle, confiera Nixon, « le seul moyen de mettre fin à la guerre était de conduire simultanément les négociations sur les plans politiques et militaires en établissant un calendrier pour le départ de nos troupes… ». Même si cela prendra du temps, c’est bien ce que Nixon fera.

​Le général de Gaulle l’avait dit à Phnom Penh. Son texte, daté du 1er septembre 1966, le voici.

[…] La devise “Le Cambodge s’aide lui-même”, que votre gouvernement a inscrite sur tous les chantiers, est, pour le peuple khmer, un motif de juste fierté et, pour d’autres, un encourageant exemple. […] Nous voyons le Cambodge, bien qu’il demeure fidèle à ses antiques traditions, s’ouvrir délibérément à la civilisation moderne et, grâce à une rare stabilité intérieure, accomplir pas à pas, au profit de tous ses enfants, une remarquable transformation.

Enfin, l’Europe a du gaz

​Mais, tandis que le royaume avance dans la bonne voie, pourquoi faut-il qu’à ses frontières la guerre provoque un déchaînement de massacres et de ruines qui menace son propre avenir ? Ces malheurs, le chef de l’État khmer les avait prévus, mais il avait aussi indiqué à temps ce qu’il convenait de faire pour les conjurer, à condition qu’on le voulût de bonne foi.

“Le Cambodge a choisi avec courage la neutralité”

​Au lendemain des accords de Genève de 1954, le Cambodge choisissait, avec courage et lucidité, la politique de la neutralité, qui découlait de ces accords et qui, dès lors que ne s’exerçait plus la responsabilité de la France, aurait seule pu épargner à l’Indochine de devenir un terrain d’affrontement pour les dominations et idéologies rivales et une sollicitation pour l’intervention américaine.

​C’est pourquoi, tandis que votre pays parvenait à sauvegarder son corps et son âme parce qu’il restait maître chez lui, on vit l’autorité politique et militaire des États-Unis s’installer à son tour au Viêtnam du Sud et, du même coup, la guerre s’y ranimer sous la forme d’une résistance nationale. Après quoi, des illusions relatives à l’emploi de la force conduisirent au renforcement continuel du corps expéditionnaire et à une escalade de plus en plus étendue en Asie, de plus en plus proche de la Chine, de plus en plus provocante à l’égard de l’Union soviétique, de plus en plus réprouvée par nombre de peuples d’Europe, d’Afrique, d’Amérique latine, et, en fin de compte, de plus en plus menaçante pour la paix du monde.

​Devant une telle situation, dont tout donne, hélas ! à penser qu’elle va aller en s’aggravant, je déclare ici que la France approuve entièrement l’effort que déploie le Cambodge pour se tenir en dehors du conflit et qu’elle continuera de lui apporter dans ce but son soutien et son appui.

​Oui ! La position de la France est prise. Elle l’est par la condamnation qu’elle porte, sur les actuels événements. Elle l’est par sa résolution de n’être pas, où que ce soit et quoi qu’il arrive, automatiquement impliquée dans l’extension éventuelle du drame et de garder, en tout cas, les mains libres. Elle l’est, enfin, par l’exemple qu’elle-même a donné naguère en Afrique du Nord, en mettant délibérément un terme à des combats stériles sur un terrain que, pourtant, ses forces dominaient sans conteste, qu’elle administrait directement depuis cent trente-deux ans et où étaient installés plus d’un million de ses enfants. Mais, comme ces combats n’engageaient ni son bonheur ni son indépendance et qu’à l’époque où nous sommes, ils ne pouvaient aboutir à rien qu’à des pertes, des haines, des destructions, sans cesse accrues, elle a voulu et su en sortir sans qu’aient, de ce fait, souffert – bien au contraire ! – son prestige, sa puissance et sa prospérité.

​Eh bien ! La France considère que les combats qui ravagent l’Indochine n’apportent, par eux-mêmes et eux non plus, aucune issue. Suivant elle, s’il est invraisemblable que l’appareil guerrier américain vienne à être anéanti sur place, il n’y a, d’autre part, aucune chance pour que les peuples de l’Asie se soumettent à la loi de l’étranger venu de l’autre rive du Pacifique, quelles que puissent être ses intentions et si puissantes que soient ses armes. Bref, pour longue et dure que doive être l’épreuve, la France tient pour certain qu’elle n’aura pas de solution militaire.

​À moins que l’univers ne roule vers la catastrophe, seul un accord politique pourrait donc rétablir la paix. Or, les conditions d’un pareil accord étant bien claires et bien connues, il est encore temps d’espérer. Tout comme celui de 1954, l’accord aurait pour objet d’établir et de garantir la neutralité des peuples de l’Indochine et leur droit de disposer d’eux-mêmes tels qu’ils sont effectivement, en laissant à chacun d’eux la responsabilité entière de ses affaires. Les contractants seraient donc les pouvoirs réels qui s’y exercent et, parmi les autres États, tout au moins les cinq puissances mondiales. Mais la possibilité et, à plus forte raison, l’ouverture d’une aussi vaste et difficile négociation dépendraient, évidemment, de la décision et de l’engagement qu’aurait auparavant voulu prendre l’Amérique, de rapatrier ses forces dans un délai convenable et déterminé.

“Renoncer à une opération lointaine sans bénéfice n’aurait rien qui nuise aux intérêts américains”

​Sans nul doute, une pareille issue n’est pas du tout mûre aujourd’hui, à supposer qu’elle le devienne jamais. Mais la France estime nécessaire d’affirmer qu’à ses yeux il n’en existe aucune autre, sauf à condamner le monde à des malheurs toujours grandissants. La France le dit au nom de son expérience et de son désintéressement. Elle le dit en raison de l’œuvre qu’elle a accomplie naguère dans cette région de l’Asie, des liens qu’elle y a conservés, de l’intérêt qu’elle continue de porter aux peuples qui y vivent et dont elle sait que ceux-ci le lui rendent. Elle le dit à cause de l’amitié exceptionnelle et deux fois séculaire que, d’autre part, elle porte à l’Amérique, de l’idée que, jusqu’à présent, elle s’en était faite, comme celle-ci se la faisait d’elle-même, à savoir celle d’un pays champion de la conception suivant laquelle il faut laisser les peuples disposer à leur façon de leur propre destin.

​Elle le dit compte tenu des avertissements que Paris a depuis longtemps multipliés à l’égard de Washington quand rien encore n’avait été commis d’irréparable. Elle le dit, enfin, avec la conviction, qu’au degré de puissance, de richesse, de rayonnement, auquel les États-Unis sont actuellement parvenus, le fait de renoncer, à leur tour, à une expédition lointaine dès lors qu’elle apparaît sans bénéfice et sans justification et de lui préférer un arrangement international organisant la paix et le développement d’une importante région du monde, n’aurait rien, en définitive, qui puisse blesser leur fierté, contrarier leur idéal et nuire à leurs intérêts. Au contraire, en prenant une voie aussi conforme au génie de l’Occident, quelle audience les États-Unis retrouveraient-ils d’un bout à l’autre du monde et quelle chance recouvrerait la paix sur place et partout ailleurs ! En tout cas, faute d’en venir là, aucune médiation n’offrira une perspective de succès et c’est pourquoi la France, pour sa part, n’a jamais pensé et ne pense pas à en proposer aucune.

​Où donc, mieux qu’à Phnom Penh, aurais-je pu formuler cette attitude et cette espérance, puisque ce sont aussi celles du Cambodge, puisque le royaume, au milieu de l’Indochine déchirée, apparaît comme un modèle d’unité et d’indépendance, puisque l’amitié active de nos deux gouvernements et de nos deux peuples est aujourd’hui plus vivante que jamais, puisqu’en voici la preuve inoubliable !

​Vive le Cambodge !

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