Bilan de l’année 2022: développements liés à l’arbitrage en France

Cet article passe en revue les développements les plus remarquables liés à l’arbitrage en France en 2022. En un mot, l’année dernière, les tribunaux français ont consolidé les approches et solutions antérieures approuvées en 2020 et 2021, et confirmé les développements majeurs du droit français de l’arbitrage.

La crainte d’un examen substantiel des sentences par le juge d’annulation

Les juges français examinent-ils le bien-fondé d’une sentence arbitrale, au moins sous des motifs précis, sans le dire ? Le débat a éclaté après le 2017 Belokon décision de la cour d’appel de Paris dans laquelle elle a conclu que les arbitres n’avaient pas accordé le poids qu’il convenait aux allégations de blanchiment d’argent et que le maintien de la sentence constituerait une violation de l’ordre public international.

La cour d’appel a ensuite confirmé cette approche par des décisions suggérant qu’elle pouvait procéder à un tout nouvel examen de l’affaire pour des raisons d’ordre public (au titre de l’article 1520, alinéa 5, du code de procédure civile). (« CCP »)) comme indiqué dans par exemple le Sorelec autre Cengiz cas, et comme déjà établi pour le contrôle de la compétence du tribunal en vertu de l’article 1520(1) CPC (par exemple le goélette autre Aboukhalil cas).

Dans ce contexte, le jugement du Cour de cassation dans le Belokon l’affaire était attendue, pour voir comment la décision pourrait être confirmée sans permettre un examen substantiel du bien-fondé de la sentence.

le Cour de cassation engagé dans un exercice d’équilibre. Elle a d’abord confirmé que la Cour d’appel n’est pas liée par l’appréciation et le raisonnement antérieurs de l’arbitre et n’est pas limitée dans son examen « aux éléments de preuve produits devant les arbitres ».

Elle a ensuite noté que la cour d’appel avait examiné (i) les relations des parties entre 2005 et 2010, (ii) les circonstances entourant l’acquisition de l’investissement, (iii) les relations entre les banques détenues par le demandeur, ainsi que (iv) le volume et la structure des opérations réalisées par la banque constituant l’investissement, et pas la légalité des activités sous-jacentes au regard du droit interne ou le respect par l’État du traité d’investissement.

le Cour de cassation distinguait le contrôle du juge d’annulation sur les sentences arbitrales d’un examen au fond de la sentence en raison de leur finalité différente, arguant que la Cour :

« N’a pas procédé à une nouvelle instruction ou à un réexamen au fond de la sentence, mais a porté une appréciation différente sur les faits fondée uniquement sur la compatibilité de la reconnaissance ou de l’exécution de la sentence avec l’ordre public international » (traduction libre).

le Cour de cassation a saisi l’occasion pour modifier son critère de contrôle, jugeant que l’annulation d’une sentence au titre de l’article 1520(5) Cpc requiert la démonstration d’un « manquement caractérisé » («violation caractérisée”) de l’ordre public international français. Ce test confirme l’extension du champ de contrôle des juges, accroissant encore la crainte que les juges d’annulation français examinent les affaires au fond à cette occasion.

le Cour de cassationle raisonnement de est très discutable comme l’est le contrôle de la cour d’appel, comme l’explique le Cour de cassation plus tard dans l’année en Sorelec, un contrôle de « la réalité de l’allégation », qui peut être mené « en examinant toutes les pièces justificatives produites, qu’elles soient ou non préalablement soumises à des arbitres » (précédemment évoqué sur le Blog). La crainte s’est encore accrue lorsque la Cour a affirmé avec force qu’ « aucune limitation n’est apportée à son pouvoir de rechercher en droit et en fait tous les éléments sur [the allegation]», comme l’a précédemment affirmé la Cour dans Santullo concernant des allégations de corruption. Un examen aussi étendu suggère que les juridictions françaises examinent désormais les sentences au fond, du moins lorsqu’elles traitent de questions de conformité à l’ordre public international français.

Pour apaiser certaines craintes qu’une approche maximaliste étendue ouvre la voie à un examen de fond systématique, la Cour a esquissé une approche un peu plus équilibrée dans la pharaon cas, où elle a rappelé que son contrôle « ne vise pas à s’assurer que le tribunal arbitral a correctement appliqué les dispositions légales » et ne s’étendrait plutôt à l’application d’une règle d’ordre public étranger que si elle est également reconnue par l’ordre public français.

A la fin de l’année, le Cour de cassation a rappelé dans la même ligne que son contrôle de la décision du tribunal sur sa propre compétence au titre de l’article 1520 al. 1 CPP était « exclusif de tout contrôle au fond de la sentence » (Oschadbank contre la Russie).

Indépendance et impartialité des arbitres : la continuité des années précédentes

Comme chaque année, l’indépendance et l’impartialité ainsi que le devoir de divulgation des arbitres génèrent leur lot de cas intéressants, confirmant plusieurs tendances observées les années précédentes.

La Cour continue d’apprécier de manière très large si un fait est « notoirement connu » ou non, avec un effet direct sur la portée de l’obligation de divulgation (en droit français, une circonstance notoire ne doit pas être divulguée). Bien qu’il ait été précédemment déterminé que toutes les informations publiées sur MÊME est réputée notoire par la Cour (Vidatel abordé dans la revue de l’année dernière), c’est désormais aussi le cas des articles accessibles sur la base de données (notre blog d’information) (lac Meilleur), et plus généralement pour toute information accessible via une recherche Google.

2022 a également confirmé que la Cour apprécie l’étendue du devoir de divulgation des arbitres en se référant aux règles d’arbitrage applicables à la procédure arbitrale, une tendance désormais appelée la « contractualisation » de la portée de la divulgation. Avec cette approche, qui reflète l’importance de l’arbitrage CCI pour les juridictions françaises, le choix des parties influence directement la portée de ce qui est ou non à divulguer. tandis que dans canapé, Pizzarottiet milliardairela portée de l’obligation de divulgation a été évaluée sur la base de (différentes versions de) la note de la CCI aux parties et aux tribunaux arbitrauxfait intéressant, cette portée a été évaluée dans Rio Tinto sur la base de « l’accord de procédure » des parties selon lequel les liens entre les arbitres ou leurs cabinets respectifs et les parties ne doivent pas empêcher leur confirmation par la Cour de la CCI.

Sur le plan procédural, il est intéressant de noter qu’un recours pour manque d’indépendance et d’impartialité est de plus en plus soulevé tant au titre des articles 1520(2) Cpc (constitution irrégulière du tribunal) et article 1520(5) Cpc (ordre public). Comme reflété dans Meilleurcela permet de contourner la règle de renonciation inscrite à l’article 1466 Cpc.

Arbitrage d’investissement : une année bien remplie

Ce fut une année chargée pour les tribunaux nationaux traitant des différends entre investisseurs et États, et les tribunaux français ont également participé à ce jeu. Comme en témoigne le grand nombre de décisions d’investissement examinées par les tribunaux français, Paris reste un siège de premier plan pour les arbitrages d’investissement non CIRDI. Deux bourses d’investissement ont été annulées par la Cour d’appel (Strabag c. Pologne autre Slot Group c. Pologne) alors que l’annulation a été confirmée par le Cour de cassation dans deux cas (Belokon autre Sorelec), entraînant ainsi un taux d’annulation exceptionnellement élevé des bourses d’investissement – une tendance que l’on peut observer depuis 2016.

Dans un contexte où plusieurs États membres de l’UE ont déclaré qu’ils dénonceraient le TCE plutôt que d’approuver une version modernisée du traité (déjà évoqué sur le Blog), la France l’a fait fin octobre 2022– une décision peut-être aussi motivée par la première action en TCE initiée cette année contre la France par des investisseurs allemands concernant la production d’entreprises d’énergie renouvelable prétendument affectée par une loi budgétaire nationale. L’avis de retrait officiel a ensuite été envoyé en décembre 2022 et sera effectif dans 20 ans.

Application du droit européen par les tribunaux français et impact sur l’arbitrage en France

Conformément aux récents arrêts de la CJUE en Ahmée, Komstroy autre PL Holdingsdeux bourses d’investissement ont été annulées sur la base de l’argument intra-UE, considéré comme une question d’ordre public (voir Groupe d’emplacements autre Strabag), malgré l’argument des investisseurs selon lequel les critiques de l’UE et de la Cour européenne des droits de l’homme à l’encontre des dernières réformes judiciaires de la Pologne auraient dû justifier le rejet de la demande d’annulation de la Pologne.

La cour d’appel s’est prononcée en sens contraire et a simplement appliqué Ahmée, précisant qu’il ne lui appartenait pas de passer en revue les réformes judiciaires polonaises, ni d’apprécier les conditions dans lesquelles les investisseurs seraient susceptibles d’obtenir une indemnisation devant les juridictions nationales. Cette conclusion est très discutable compte tenu des engagements internationaux de la France au titre de la CEDH. Le refus de la Cour d’appel d’examiner les arguments des investisseurs pour ce motif suggère que la CEDH ne serait pas applicable dans le cadre d’une procédure d’exécution arbitrale. Une telle approche est préjudiciable à la régularité des procédures et à l’État de droit en Europe. Sans demander à la Cour d’aller aussi loin, les investisseurs auraient pu espérer, au moins, un examen similaire à celui de la société suédoise suprême Cour dans le PL Holdings cas.

Les deux arrêts confirment que l’arbitrage en matière d’investissement est progressivement exclu du tableau et ne sera pas disponible en tant que mécanisme de résolution des différends en matière d’investissement intra-UE. Cette conclusion peut également porter atteinte au droit des investisseurs au respect de leurs biens, tel qu’il est protégé par la CEDH et appliqué aux sentences arbitrales dans les BTS holding décision (discutée plus en détail sur le blog).

Refus de verser une avance sur frais et contestation incohérente de la compétence des tribunaux

Comme discuté cette année sur le Blog, le Cour de cassation a régné dans Tagli’apau pour la première fois qu’une obligation générale de loyauté procédurale est attachée à la convention d’arbitrage (qui ne serait pas limitée à celle prévue à l’article 1464(3) CPC) empêche un défendeur incohérent de refuser de payer sa part de l’avance sur les frais et de contester ensuite la compétence des juridictions nationales. Cela sera utile pour rejeter les réclamations de mauvaise foi, améliorant ainsi l’efficacité de l’arbitrage. Elle conduira également une partie à compenser l’impécuniosité de sa contrepartie, pour éviter le risque de devoir la poursuivre devant les juridictions nationales, privant la convention d’arbitrage de tout effet. Les tribunaux devront se pencher sur cette question à l’avenir, au prix que des parties solvables en profitent indûment.

Loi applicable à la convention d’arbitrage : la fin de la saga

Comme discuté cette année sur le Blog ici et ici, le Cour de cassation confirmé dans le Nourriture Kout cas que, en droit français, les conventions d’arbitrage sont interprétées conformément à la loi du siège sauf choix exprès des parties – contrairement à ce qui a été jugé en Angleterre.

Conclusion

De nombreuses décisions ont été déférées cette année au Cour de cassation ce qui, dans l’ensemble, a confirmé la jurisprudence développée ces dernières années par la cour d’appel de Paris. Cependant, un point d’interrogation demeure quant à l’étendue et à l’intensité du contrôle d’ordre public par le juge d’annulation, laissant Paris, sur cette question, très isolé parmi les sièges arbitraux de premier plan..