Récapitulatif PAW 2023 : Affaires d’États Vol. 2 – Revendications abusives contre les États et comment les combattre

Dans le cadre de la Paris Arbitration Week (« PAW ») 2023, Curtis a animé un webinaire sur « Affaires d’Etats : Abusive Claims Against States and How to Fight Them ». Il s’agissait de la deuxième édition de la série « Affaires d’Etats » initiée par Curtis l’année dernière lors du PAW 2022.

Le panel de cette année a abordé le sentiment croissant dans certains milieux, y compris dans le contexte du Groupe de travail III de la CNUDCI sur la réforme de l’ISDS, que les réclamations et pratiques abusives dans les arbitrages internationaux contre les États sont en augmentation. De telles réclamations augmenteraient les coûts des procédures, nuiraient à la réputation des États hôtes et généreraient un refroidissement réglementaire. Le panel, animé par Simon Batiffortcomposé de Wolfgang AlschnerMarie-Claire ArgacMiriama Kiselyova et Suzy Nikiéma. Les panélistes se sont d’abord penchés sur le « problème », avant d’aborder les « solutions » pour faire face à ce phénomène. Ce message résume les principaux points à retenir de la discussion.

Typologie des revendications et pratiques abusives

Miriama Kiselyová a ouvert la parole en décrivant trois types de réclamations généralement jugées abusives :

  1. tentatives de chalandage fiscal, comme l’illustrent Phoenix contre la République tchèque dans laquelle une société israélienne nouvellement créée a acheté des sociétés tchèques qui faisaient déjà l’objet d’une procédure judiciaire en cours en République tchèque, puis a porté le différend en arbitrage en alléguant une violation du TBI tchéco-israélien;
  2. revendications multiples, parallèles et successives, comme dans CME c. République tchèque autre Lauder c. République tchèque; deux affaires historiques liées au même litige, la première intentée par la société et la seconde par l’actionnaire ultime de CME ; autre
  3. Les tentatives de recourir à des recours non prévus dans les accords internationaux d’investissement (« AII »), comme dans le Achmea c. République slovaque (II)dans laquelle l’investisseur a eu recours à l’arbitrage pour empêcher l’État d’adopter une nouvelle réglementation qui aurait prétendument constitué une violation du TBI.

Marie-Claire Argac a fourni des exemples de pratiques abusives en matière de dommages. Elle a souligné que les demandeurs reçoivent en moyenne moins de 40% des montants initialement réclamés, ce qui suggère une tendance à exagérer considérablement les demandes de dommages-intérêts. Elle a souligné l’augmentation exponentielle du montant des dommages-intérêts réclamés dans l’arbitrage entre investisseurs et États au cours des deux dernières décennies, expliquant que l’une des causes était le recours accru à la méthodologie des flux de trésorerie actualisés («DCF») – une méthodologie particulièrement sujette aux abus. et les tactiques « d’ancrage » car elles nécessitent la projection de multiples paramètres dans le futur.

Elle a souligné que certains demandeurs ont tenté de profiter de l’absence de réglementations strictes concernant l’approche appropriée en matière de calcul des dommages pour pousser à l’application de cette méthode pour projeter les futurs manques à gagner présumés, indépendamment de l’existence d’une certitude suffisante quant à la l’existence de tels manques à gagner et en l’absence d’une entreprise en activité avec un historique avéré de rentabilité. Mme Argac a également noté que le recours accru aux bailleurs de fonds tiers (TPF) était associé à la prolifération des réclamations abusives, comme l’a noté le Groupe de travail III de la CNUDCI..

Une menace pour les pays en développement

Suzy Nikièma a ensuite souligné que les revendications frivoles sont particulièrement problématiques pour les pays en développement.

Premièrement, de telles réclamations entraînent une perte de temps et de ressources financières. Cela s’avère préjudiciable même si ces demandes frivoles sont finalement rejetées au stade juridictionnel.

Deuxièmement, de telles revendications génèrent un soi-disant « effet dissuasif » sur les États, y compris les pays en développement, pour qu’ils réglementent dans l’intérêt public, comme l’illustre la célèbre Phillip Morris c. Australie cas.

Troisièmement, l’impact sur la réputation des États peut également être important car, en général, seuls les montants réclamés et le nombre d’affaires intentées contre l’État sont finalement retenus, plutôt que l’issue finale du différend. Ainsi, les revendications abusives peuvent renforcer les idées préconçues sur la gouvernance des pays en développement.

Un problème de procédure mais aussi de fond

Wolfgang Alschner a souligné que les réclamations frivoles ne sont pas simplement un problème de procédure, mais aussi un problème de fond.

Plus précisément, il a noté que les allégations manifestement sans fondement juridique étaient difficiles à identifier sur le fond en raison du caractère vague de nombreux AII quant aux normes de protection. Les notions de traitement juste et équitable, d’attentes légitimes ou de pouvoirs de police sont souvent (si elles ne sont pas activées) laissées non définies, ce qui rend difficile pour les États, les investisseurs et les bailleurs de fonds d’identifier ce qui caractérise une réclamation manifestement sans fondement juridique. Ceci est amplifié par la multiplicité des interprétations des normes de fond dans le monde ISDS, les tribunaux adoptant souvent des interprétations contraires des mêmes normes de protection.

Nouvelles dispositions dans les AII récents

Passant aux solutions, Mme Kiselyová a évoqué les nouveaux types de dispositions que la Slovaquie, l’Union européenne (UE) et d’autres États ont inclus dans leurs nouveaux AII pour tenter de lutter contre les pratiques abusives. Par exemple, certains traités récents de l’UE tels que le CETAl’accord de protection des investissements UE-Singapour et l’accord de protection des investissements UE-Vietnam inclure des dispositions relatives à la « soumission des réclamations ». En vertu de ces dispositions, les demandeurs doivent se retirer des procédures en cours et confirmer l’absence de nouvelle soumission du différend à l’avenir, soit par les demandeurs, soit par les entités qu’ils contrôlent. En outre, l’article 33 du CETA traite des réclamations manifestement sans fondement juridique (inspiré de l’article 41 du Règlement d’arbitrage CIRDI) et prétentions non fondées en droit. Ces dispositions figurent également dans le TBI slovaque-iranienqui a déjà été ratifié.

Nécessité d’une réforme holistique, substantielle et multilatérale

Le professeur Alschner s’est interrogé sur l’impact réel des nouveaux mécanismes conçus pour éliminer les allégations frivoles, faisant écho à certaines des conclusions publiées dans son récent livre.. Tout en reconnaissant les développements procéduraux dans certains des nouveaux traités, le professeur Alschner a exprimé son scepticisme quant au traitement de fond du problème, y compris quant à l’établissement d’une distinction de fond entre les demandes fondées et celles qui manquent manifestement de fondement juridique. Il a fait observer qu’en raison de la multiplicité des traités d’investissement, un investisseur présentant une réclamation frivole rejetée en vertu d’un instrument aurait toujours la possibilité d’introduire une nouvelle réclamation en vertu d’un autre instrument plus permissif.

En outre, bien que certains nouveaux traités incluent des « garanties substantielles », telles que des exceptions générales d’ordre public, dans la pratique, ces mécanismes n’ont pas fonctionné efficacement car certains arbitres ont nié leur plein effet. On en trouve un exemple dans la récente Eco Oro c. Colombie cas, où le tribunal a estimé que l’investisseur était en droit de réclamer une indemnisation même si l’exception d’ordre public expressément prévue dans le traité s’appliquait.

Le professeur Alschner a conclu qu’il ne suffisait pas de se concentrer uniquement sur les réformes procédurales et qu’il était nécessaire de procéder à une réforme plus globale et multilatérale sur le fond du droit international de l’investissement.

Mécanismes de prévention existants et potentiels

Mme Nikièma a souligné l’importance de compléter les mesures axées sur l’arrêt des réclamations frivoles à un stade précoce avec des stratégies qui découragent de manière proactive la survenance de telles réclamations. Elle a ensuite abordé les mécanismes existants qui peuvent être utilisés pour empêcher les réclamations frivoles de se retrouver en arbitrage. Une première option est l’exigence d’épuisement des voies de recours internes, afin de garantir que les lois et réglementations locales, qui imposent parfois des exigences plus strictes sur la base juridique et factuelle d’une réclamation, sont respectées. Une deuxième approche, plus substantielle, consisterait à adopter des définitions plus circonscrites des concepts d’investisseur et d’investissement, comme c’est le cas dans certains traités africains récents sur l’investissement qui ont adopté une définition de l’investissement fondée sur l’entreprise.

Mme Argac énumère quelques-unes des pistes en cours de discussion pour freiner les pratiques abusives en matière de dommages-intérêts, notamment : (i) ordonner aux demandeurs de supporter une fraction plus élevée des coûts si les dommages-intérêts réclamés dépassent le montant réel accordé d’un certain pourcentage, même si le demandeur obtient gain de cause sur une partie de la demande ; (ii) limiter les dommages-intérêts au montant réellement investi ou même plafonner les dommages-intérêts maximum pouvant être accordés ; (iii) la compensation des dommages moraux ou de réputation des États, bien que cela doive être mis en balance avec l’interdiction générale des dommages-intérêts punitifs ; et (iv) la refonte du cadre normatif régissant la TPF et la garantie des coûts.

Mme Argac a également souligné la nécessité de sélectionner des avocats, des arbitres et des experts qui ont une compréhension approfondie de ces questions dès que possible dans la procédure et a souligné le rôle des arbitres dans la lutte contre ces pratiques abusives en rejetant catégoriquement ces types de réclamations mais aussi en les appeler et tenir les demandeurs responsables.

Conclusion

En conclusion, la prolifération des allégations et des pratiques abusives est un sujet de grave préoccupation appelant une réforme à la fois procédurale et substantielle du droit international de l’investissement. Il reste à voir si les efforts en cours au sein du Groupe de travail III de la CNUDCI et d’autres instances aboutiront à des améliorations significatives sur ce front.