Maersk. La CJUE sur la portée de la « validité matérielle » de l’article 25 Bruxelles Ia (opposabilité de l’élection de for dans les connaissements à l’encontre des tiers détenteurs du connaissement).

La CJUE s’est prononcée la semaine dernière dans les affaires jointes C‑345/22 et C‑347/22, Maersk A/S contre Allianz Seguros y Reaseguros SA et dans l’affaire C‑346/22 Mapfre España Compañía de Seguros y Reaseguros SA contre MACS Maritime Carrier Shipping GmbH. & Cie.

L’affaire concerne l’opposabilité de l’élection de for (dans les affaires en cause : pour un tribunal en Angleterre) incluse dans les connaissements à l’encontre des tiers détenteurs des connaissements. Chaque affaire a été portée avant le jour de mise en œuvre du Brexit et à la suite de l’accord de retrait entre le Royaume-Uni et l’UE (A127(3)), entièrement soumis à Bruxelles Ia. Mukkarum Ahmed avait précédemment signalé l’avis de Collins AG dans lequel sa recherche était citée à juste titre.

La loi espagnole pertinente ne fait pas partie des lois nationales qui acceptent avec une relative facilité que le choix du tribunal et de la loi ait un effet contraignant sur les tiers acquéreurs de l’effet, puisqu’elle dispose :

Dans la section

‘… [Chapter I of Title IX] contient les règles particulières de juridiction et de compétence et, en procédant sur la base de l’application préférentielle en la matière des règles des accords internationaux et du droit de l’Union européenne, cherche à prévenir les abus constatés, en déclarant nulles les clauses qui prévoient la soumission à une juridiction étrangère ou à un arbitrage à l’étranger, contenues dans les contrats d’utilisation d’un navire ou dans les contrats accessoires de transport, si ces clauses n’ont pas été négociées individuellement et séparément. …’

Aux termes de l’article 251 du LNM, intitulé « Effectivité du transfert » :

« La délivrance d’un connaissement a les mêmes effets que la délivrance des marchandises représentées par le connaissement, sans préjudice des actions pénales et civiles ouvertes à celui qui aura été illégalement dépossédé de ces marchandises. L’acquéreur du connaissement acquiert tous les droits et actions du cédant sur les marchandises, à l’exception des conventions de juridiction et d’arbitrage qui nécessitent le consentement de l’acquéreur conformément au chapitre Ier du titre IX.

Le premier alinéa de l’article 468 de la LNM, intitulé « Clauses relatives à la compétence et à l’arbitrage », figurant au chapitre Ier du titre IX de cette loi, dispose :

« Sans préjudice des dispositions des accords internationaux applicables en Espagne et des règles du droit de l’Union européenne, les clauses prévoyant la soumission à une juridiction étrangère ou à l’arbitrage à l’étranger, contenues dans les contrats d’utilisation d’un navire ou dans les contrats accessoires de transport, seront nulles et réputées inexistantes si ces clauses n’ont pas été négociées individuellement et séparément.

L’autorité compétente est bien entendu la CJUE C‑387/98 Coreck Maritime) où la Cour a jugé que une clause attributive de juridiction incorporée dans un connaissement peut être opposée à un tiers à ce contrat si cette clause a été jugée valable entre le transporteur et le chargeur et à condition que, en vertu de la législation nationale applicable, le tiers, l’acquisition du connaissement, succède aux droits et obligations du chargeur.

CJUE DelayFix, comme le dit Collins AG (45), « semble adopter la même approche lorsque, citant le paragraphe 65 de l’arrêt Peroxyde d’hydrogène CDCqui renvoie à son tour au paragraphe 30 de l’arrêt Coreckil fait référence au « droit matériel national » ».

La CJUE dans les affaires en cause premièrement [48] tient

.. même si cela ressort clairement [A25(1) BIa] que la validité au fond d’une clause attributive de juridiction s’apprécie au regard du droit de l’État membre du ou des tribunaux désignés par cette clause, il n’en reste pas moins que l’opposabilité d’une telle clause à l’encontre d’un tiers au contrat, tel qu’un tiers détenteur du connaissement, ne se préoccupe pas de la validité matérielle de cette clause, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 54 à 56 de ses conclusions, mais de ses effets, dont l’appréciation intervient nécessairement après l’appréciation de sa validité matérielle, cette dernière appréciation devant être effectuée en référence aux relations entre les parties initiales au contrat.

[50] en référence aux affaires 71/83 Tilly Russ et C‑543/10 Refcomp (lui-même empruntant à Correck Maritime, voir ci-dessus), la Cour rappelle également

une clause attributive de juridiction incorporée dans un connaissement est opposable à un tiers au contrat si cette clause a été jugée valable entre le chargeur et le transporteur et à condition que, en vertu de la législation nationale pertinente, le tiers, lors de l’acquisition du connaissement, ait succédé aux droits et obligations du chargeur. Dans un tel cas, il n’est pas nécessaire que la juridiction saisie vérifie si ce tiers a accepté cette clause. [emphasis added]

En d’autres termes, dans un tel cas, l’étape importante consistant à établir le consentement factuel, habituellement toujours requise pour l’élection de for en vertu de l’A25, n’est plus nécessaire.

Plus loin, [56]L’A25 BIa s’oppose-t-elle à la législation espagnole en cause « en vertu de laquelle un tiers à un contrat de transport de marchandises conclu entre un transporteur et un chargeur, qui acquiert le connaissement prouvant ce contrat et devient ainsi tiers titulaire de ce connaissement, est subrogé à tous les droits et obligations du chargeur, à l’exception de ceux découlant d’une clause attributive de juridiction incorporée au connaissement, où cette clause n’est opposable à ce tiers que si celui-ci l’a négociée. individuellement et séparément » ?

Ici, la CJUE [58] répète que si « les tiers détenteurs de connaissements [are]…subrogé [under the relevant applicable law] « Pour l’ensemble des droits et obligations des chargeurs concernés… il n’est pas nécessaire de vérifier si chacun de ces tiers a effectivement accepté ces clauses. »

[59] La loi espagnole pertinente a en substance pour effet que l’acquéreur du connaissement acquiert tous les droits et actions du cédant sur les marchandises, à l’exception des clauses attributives de juridiction, qui, en vertu de cette loi espagnole, requiert le consentement effectif de l’acquéreur. Le résultat de la loi espagnole est que ces clauses sont nulles et réputées inexistantes si elles n’ont pas été négociées individuellement et séparément. Ceci, estime la CJUE [60] contourne l’A25 tel qu’interprété dans Coreck Maritime, Tilly Russ, Refcomp etc. et ne peut pas être autorisé. En raison de la primauté du droit de l’Union européenne, le juge national est chargé d’interpréter le droit espagnol autant que possible conformément au règlement (référence [63] ex multi à la CJUE District District Hartberg-Fürstenfeld) et si aucune interprétation autre qu’une contra legem n’est possible, [65] de ne pas appliquer la règle nationale étant donné que l’A25 BIa est directement applicable en tant que disposition d’un règlement (cf. une directive).

En conclusion:

1. Article 25, paragraphe 1 [BIa]

doit être interprété en ce sens que l’opposabilité d’une clause attributive de juridiction à l’encontre du tiers titulaire du connaissement contenant cette clause n’est pas régie par le droit de l’État membre du ou des tribunaux désignés par cette clause. Cette clause est opposable à ce tiers si, lors de l’acquisition de ce connaissement, il est subrogé à l’ensemble des droits et obligations de l’une des parties originaires au contrat, qui doivent être appréciés conformément au droit matériel national tel qu’établi par appliquant les règles du droit international privé de l’État membre du tribunal saisi du litige.

2. Article 25, paragraphe 1 [BIa]

doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale selon laquelle un tiers à un contrat de transport de marchandises conclu entre un transporteur et un chargeur, qui acquiert le connaissement attestant ce contrat et devient ainsi tiers titulaire de ce connaissement , est subrogé dans tous les droits et obligations du chargeur, à l’exception de ceux découlant d’une clause attributive de juridiction incorporée au connaissement, lorsque cette clause n’est opposable à ce tiers que si celui-ci l’a négociée individuellement et séparément.

Un jugement important pour le secteur des transports en particulier et pour la signification de la « validité matérielle » dans l’A25 BIa.

Geert.

Droit international privé de l’UE, 4e éd. 2024, 2.373 et suiv.