Les zones d’ombre du Triangle d’or, paradis des triades chinoises

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Le long du fleuve Mékong, les mafias coulent des jours tranquilles. La zone qui s’étend du nord de la Birmanie, au Laos et au Cambodge, est le cœur de tous les trafics, affirment les experts des Nations unies dans leur rapport publié fin janvier et intitulé « Casinos, blanchiment d’argent, banque souterraine, et crime organisé : la menace cachée ».

L’Onu y brosse un tableau alarmant d’une région truffée de casinos qui constituent un rouage essentiel du système de blanchiment d’argent mis au point par les gangsters chinois, notamment la triade 14K de Macao et l’Alliance de la Voie céleste de Taïwan. « Les triades contrôlent quasiment tous les casinos de la région, mais aussi le trafic de drogue et la prostitution », résume Martin Purbrick, ancien policier britannique à Hong Kong et spécialiste des mafias chinoises. « Le crime organisé a créé un système bancaire parallèle en se servant des nouvelles technologies et grâce à la prolifération de casinos en ligne peu ou pas réglementés, ainsi que des cryptomonnaies, explique Benedikt Hofmann, directeur régional adjoint de l’office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC). Les gouvernements ont du mal à suivre le mouvement. »

Ces syndicats du crime 2.0 ont empoché 24,2 milliards de dollars en 2023

En Birmanie, l’État Wa en fait partie. C’est l’une des régions indépendantes de facto du reste du pays, avec son propre système politique et administratif. Il couvre une superficie de 35 000 km², soit à peu près la taille des Pays-Bas, où vivent quelque 700 000 personnes protégées par l’armée unie de l’État Wa (UWSA), soit plus de 20 000 hommes, anciens coupeurs de têtes reconvertis dans le trafic de drogue et hommes de main de ces mafias chinoises. On l’a surnommé la « petite Chine ». Le mandarin y est la lingua franca et les habitants utilisent les réseaux de télécommunication et les services financiers chinois pour leurs basses œuvres.

C’est le royaume de Wan Kuok-koi, alias « Dent cassée », le puissant chef de la 14K. Depuis sa sortie de prison en 2012, où il a passé quatorze ans, ce sexagénaire a étendu ses activités criminelles dans le Sud-Est asiatique au Cambodge et en Birmanie où il a lancé récemment deux zones économiques spéciales à quelques kilomètres de la ville de Shwe Kokko : la Saixiang Industrial Zone et Huanya International City.

Dans la foulée, il a créé Hongmen Security Company, une agence de sécurité privée destinée à protéger ses investissements dans la région, selon les documents analysés par le groupe de recherche américain C4ADS qui confirme plusieurs contrats signés entre Hongmen Security et des entreprises chinoises en Birmanie et au Cambodge. Il pilote ainsi le complexe de casinos Kings Romans de Zhao Wei au Laos et She Zhijiang dans la zone économique de Shwe Kokko dans l’État de Shan en Birmanie.

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157 milliards d’euros sont ainsi injectés dans ces casinos clandestins en Birmanie, au Cambodge et aux Philippines chaque année

Ses gros bras font la loi dans ces villes nouvelles aux allures d’Empire du vice où des dizaines de casinos accueillent des joueurs venus pour la plupart de Chine continentale où les jeux d’argent sont interdits. Pour les réseaux criminels, les casinos de la région sont les nouvelles banques qui leur permettent de blanchir de l’argent à grande échelle à l’abri des regards et avec peu de chances que les forces de l’ordre les rattrapent, confirme le rapport de l’ONUDC.

« Ces organisations sont des multinationales du crime et celles-ci vont là où elles peuvent exercer en toute impunité », dissèque le Français Michael Przyswa, directeur de l’agence cryptoenquete.com. Ce détective de la Toile travaille à remonter à la source du mal, souvent difficile à tracer avec l’utilisation généralisée des cryptomonnaies. « La géographie des escroqueries est souvent représentée par des flux financiers des pays développés vers l’Asie du Sud-Est, l’Afrique, l’Ukraine ou la Russie. Cependant, même si des usines à escroqueries ont pu être découvertes au Cambodge ou en Birmanie, explique Michael Przyswa, il s’avère que les personnes derrière les plus grosses organisations hébergées par ces pays étaient en fait chinoises. Définir le ou les responsables d’une escroquerie est donc une opération complexe nécessitant, la plupart du temps, la collaboration de différents pays. »

Selon le ministère chinois de la Sécurité publique, plus de 157 milliards d’euros sont ainsi injectés dans ces casinos clandestins en Birmanie, au Cambodge et aux Philippines chaque année. À cela s’ajoutent des centaines de milliards provenant de trafics divers, drogue, êtres humains, arnaques aux cryptomonnaies.

Les jeux d’argent en ligne pourraient rapporter à eux seuls 205 milliards de dollars d’ici à 2030, dont quelque 37 % en Asie du Sud-Est d’ici à 2026, selon les prévisions de l’ONUDC, et ces syndicats du crime 2.0 ont empoché 24,2 milliards de dollars en 2023, en hausse de 430 % en cinq ans.

Rubis, jade et héroïne

Les casinos ne sont pas le seul vice de ces triades qui évoluent dans cette zone au carrefour de ce qu’Interpol surnomme la route des trois couleurs : le rouge pour le trafic de rubis, le vert pour celui du jade et le blanc pour l’héroïne et la méthamphétamine.

Le commerce de jade, dont les Chinois sont si friands, rapporterait ainsi chaque année près de 30 milliards d’euros, selon l’ONG Global Witness, soit près de la moitié du PIB birman, et celui des drogues synthétiques 70 milliards selon les estimations de l’Onu. L’héroïne, elle, ne rapporterait « que » de 1 à 2,4 milliards de dollars, soit l’équivalent de 1,7 à 4,1 % du PIB de la Birmanie.

Mais l’essentiel des revenus de ces triades provient désormais de vastes réseaux d’escroquerie en ligne où les victimes sont hameçonnées sur des sites de jeux sur Internet, des sites de rencontres ou de faux sites d’investissement en cryptomonnaies animés par une armée de pirates informatiques.

Ces groupes de malfaiteurs sont souvent composés de citoyens chinois forcés d’y travailler et d’escroquer leurs compatriotes en Chine. « Contrairement aux idées reçues, on trouve souvent une victime des deux côtés de l’escroquerie. L’individu tentant d’escroquer un citoyen français, via les réseaux sociaux, sera souvent une autre victime enchaînée à son bureau au Laos ou au Cambodge qui ne touchera aucun bénéfice de l’arnaque. C’est, avant tout, un jeu perdant-perdant au profit du crime organisé », assure Michael Przyswa.

Les services de police français confirment dans une note confidentielle que plus d’un demi-million de travailleurs seraient employés contre leur gré et exploités à des fins d’escroquerie en ligne rien qu’au Cambodge !

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