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Duel de royaumes
Publié le 24/07/2025 à 18:40
Des tensions d’une rare intensité ont éclaté à la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge, faisant plusieurs morts civils thaïs. Si les tensions entre les deux royaumes d’Asie du Sud-Est ne sont pas récentes, cela faisait quinze ans qu’elles n’avaient pas atteint un tel degré.
Les tensions ne cessent de croître à la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge depuis la mort, fin mai, d’un soldat khmer dans une zone que les deux pays se disputent. Ce jeudi 24 juillet, la tension est montée d’un cran après que de nouveaux tirs échangés entre les deux armées ont fait des morts civils.
Les armées s’affrontent, les récits aussi. Selon le Premier ministre thaïlandais, Phumtham Wechayachai, un soldat a perdu une jambe en marchant sur une mine antipersonnel (à destination des humains) à la frontière contestée. Les autorités thaïlandaises ont dans la foulée affirmé qu’une enquête menée par leurs soins avait permis de fournir des preuves selon lesquelles le Cambodge avait posé de nouvelles mines dans cette zone. Des accusations que le ministère cambodgien de la Défense a « catégoriquement rejetées », se justifiant par le fait que ces zones ont été le théâtre d’anciens conflits et n’ont pas toutes été déminées.
Aux origines du conflit
Dans un communiqué publié ce jeudi 24 juillet sur le site de l’ambassade du Cambodge en France, on peut lire : « Depuis le petit matin du 24 juillet 2025, les forces armées thaïlandaises ont lancé des attaques non provoquées, préméditées et délibérées contre des positions cambodgiennes le long des zones frontalières (…).
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Face à cette agression flagrante, les troupes cambodgiennes n’avaient d’autre choix que de répondre en légitime défense afin de sauvegarder la souveraineté et l’intégrité territoriale du Cambodge. Le Cambodge appelle la Thaïlande à cesser immédiatement toutes les hostilités, à retirer ses forces de son côté de la frontière et à s’abstenir de toute autre action provocante qui pourrait aggraver la situation. »
De son côté, la Thaïlande affirme que les frappes cambodgiennes ont tué au moins neuf civils et blessé quatorze autres. Elle a également rappelé son ambassadeur, expulsé l’envoyé spécial du Cambodge et exhorté ses ressortissants à quitter le pays.
Cet incident intervient alors que les relations entre ces deux royaumes de l’Asie du Sud-Est sont loin d’être apaisées, et ce, depuis l’époque où la France était présente en Indochine. Leur frontière commune, longue de 800 km, concentre un point de crispation majeure, le temple Preah Vihear. Ce lieu, hautement symbolique, est inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’ONU et date de l’époque angkorienne au XIe siècle.
Placé sous contrôle cambodgien par la France en 1907, à la suite d’un tracé sur la ligne de crête entre les deux États, la Thaïlande a toujours contesté cette décision. Dans un épisode de la Revue Conflits, l’historien Jean-Baptiste Noé pointe une « subtilité » : « Le temple est plutôt côté thaïlandais quand on regarde la ligne de crête. Les Français l’ont-ils fait exprès ? Ne maîtrisaient-ils pas les cartes ? Le fait est que le temple est placé côté cambodgien ».
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Des tensions maritimes
Mécontent de ce tracé, le Royaume de Siam (ancien nom de la Thaïlande) demande en 1934 à réviser la frontière pour avoir le contrôle du territoire où se situe le temple. Il faudra attendre 1959 pour que le pays saisisse la Cour internationale de justice et 1962 pour que cette dernière rende sa décision… en faveur du Cambodge. Un avis que n’a jamais accepté la Thaïlande et qui continue depuis cette date à faire l’objet de tensions, de fermetures de frontières et parfois d’incidents majeurs, à l’instar de celui que les deux pays vivent actuellement.
Cela faisait quinze ans que les deux voisins n’avaient pas connu un tel degré de tensions. Entre 2008 et 2011, ce même temple avait été à l’origine d’affrontements armés qui avaient causé la mort de 28 personnes et des milliers de déplacés.
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Mais les tensions entre le Cambodge et la Thaïlande ne se limitent pas à ce petit bout de terre. Les deux pays se disputent aussi Ko Kut, 4e plus grande île thaïlandaise et riche en gaz. Si Ko Kut est sous autorité thaï, l’île est située plus proche du rivage cambodgien. Le Cambodge, en se basant sur la législation relative à la ZEE, revendique donc sa souveraineté sur le sud de l’île afin d’avoir accès aux gisements. La Thaïlande a déjà proposé de partager l’exploration du gaz en échange d’une révision de l’administration du temple, ce qu’a refusé le Cambodge. Signe que les tensions entre les deux pays ne datent pas d’aujourd’hui.
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Ève Szeftel, directrice de la rédaction de Marianne.

