Bientôt, des rizières sans agriculteur ni bœuf


Spécialiste du secteur agricole et fin connaisseur des pays de l’ASEAN qu’il explore depuis des décennies, Jean-Michel Gallet se rend régulièrement au Cambodge et, appareil photo à l’épaule, a vu la mécanisation agricole progresser à un rythme accéléré au Cambodge. Est-ce le signe d’une forte croissance des revenus agricoles ? Selon lui, l’explication est à chercher ailleurs.

« Certes, depuis un peu plus d’une décennie, des moissonneuses-batteuses adaptées à la taille des surfaces agricoles ont pu être aperçues d’abord et surtout dans les plaines rizicoles de la province de Battambang », écrit-il.

Transformation Agricole au Cambodge : L’Impact de la Croissance

« Certes, le riz produit au Cambodge depuis des millénaires, essentiellement sur des terrasses – soit 80 % de la production rizicole – l’était sur la base de la riziculture pluviale, c’est-à-dire en fonction de la saison des pluies, avec une récolte par an », écrit M. Gallet. « Mais la multiplication des motopompes puisant l’eau dans les cours d’eau ou les forages a progressivement permis, sur une partie du territoire, deux récoltes de riz.

« Mais lors de toutes mes précédentes visites au Cambodge, j’ai toujours pu observer une charrette ici, une brouette ou une charrue là, tirée par un animal », écrit-il. « En d’autres termes, les paysages et les travaux agricoles correspondent à l’imagerie traditionnelle du pays. Pourtant, lors de mon habituel périple hivernal à moto à travers le Cambodge fin 2022/début 2023, à ma grande surprise, je n’ai pas vu un seul taureau ou bœuf tirant une charrette ou un quelconque outil agricole. Remplacé par le cultivateur ou, de plus en plus, par le tracteur !

« Parmi les nombreux exemples rencontrés », écrit Gallet. « Durant l’hiver 2014-2015, près de Kampong Cham, sur l’île de Koh Paen reliée à la rive du Mékong par un pont de bambou, j’avais photographié un paysan labourant sa parcelle de riz avec des bœufs tirant une charrue à un soc. Au cours de l’hiver 2022-2023, sur cette même île, j’ai trouvé des champs de plusieurs dizaines d’hectares traversés par trois tracteurs effectuant, en même temps, des travaux agricoles successifs : le premier hersant, le second semant, et le troisième déposant divers intrants. »

« Bien sûr, les grandes surfaces agricoles exploitées restent une exception« , écrit-il. « L’agriculture cambodgienne est encore essentiellement basée sur un modèle familial. Un modèle qui privilégie toutefois des exploitations dont la taille augmente au fil des années. »

« L’agriculture cambodgienne subit donc l’évolution technique, démographique et économique que connaissent les secteurs agricoles d’un monde de plus en plus urbanisé », écrit Gallet. « A chacun d’exercer son jugement sur cette évolution. Mais comment en si peu de temps, qu’en gros de COVID-19, la traction animale – un mode vieux de 1000 ans – a-t-elle pu disparaître du paysage agricole ?

Un Changement Drastique Expliqué par l’Économie et l’Immobilier

Il n’y a pas eu récemment de « hausse brutale » des coûts des produits agricoles, et en premier lieu du riz, qui pourrait expliquer l’augmentation soudaine de la richesse des agriculteurs », écrit-il. « Bien souvent, même si chaque exploitation agricole, ici comme partout dans le monde, a des coûts de production différents les uns des autres, ces coûts sont à peine couverts par les prix de vente des produits.  »  

« Alors où se trouve la réponse : dans l’immobilier dont les prix ont récemment explosé », écrit Gallet.

« Voici quelques exemples« , écrit-il. « Les membres d’une coopérative agricole située dans la province de Kampong Speu, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de la capitale, m’ont raconté qu’en cinq ans, le prix des terres avait augmenté de 30 à 100 % selon leur emplacement par rapport aux voies de communication. Quant aux terrains à bâtir, les prix peuvent atteindre 150 000 euros [environ 163 568 dollars] l’hectare !  

« Le premier facteur explicatif de cette évolution se trouve en dehors de l’agriculture, c’est-à-dire dans une économie non agricole qui a besoin de plus en plus de terres », écrit M. Gallet. « Ainsi, selon les statistiques gouvernementales, le nombre d’usines est passé de 64 à 1.326 entre 1997 et 2023. De plus, une « classe moyenne » émerge, à la recherche de terrains pour vivre et de routes pour se déplacer. Autant de causes de pression, voire de spéculation, sur le foncier agricole !

« Ce n’est pas la croissance du secteur agricole et des revenus des agriculteurs qui explique cette généralisation de la mécanisation, mais des facteurs externes liés à la croissance économique globale du Cambodge », écrit Gallet. « C’est pourquoi, dorénavant, le visiteur, sauf dans des présentations organisées à dessein, ne rencontrera plus guère de taureau tirant une charrette ou une charrue. »

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