« Kem Sokha (…) est condamné à 27 ans de prison pour collusion avec des étrangers au Cambodge et ailleurs », a déclaré le juge Koy Sao du tribunal de Phnom Penh. Figure de l’opposition et cofondateur du Parti du salut national du Cambodge (PSNC), aujourd’hui dissous, il a toujours contesté les charges.
Après le verdict, Kem Sokha a été immédiatement conduit de la salle d’audience à son domicile, où il sera assigné à résidence et où il lui sera interdit de rencontrer quiconque, à l’exception des membres de sa famille. Alors qu’il était emmené, il a souri et salué les diplomates présents au tribunal. Il dispose d’un mois pour faire appel de la condamnation et de la peine d’emprisonnement, a déclaré aux journalistes Ang Udom, l’un de ses avocats.
Le tribunal lui a également retiré le droit de vote et lui a interdit de se présenter à des fonctions politiques. « Je ne peux pas accepter ce jugement », a déclaré Chea Samuon, partisan de Kem Sokha, à l’extérieur de la salle d’audience. « C’est très injuste pour lui et pour le peuple. Il n’est pas coupable, c’est une pression politique ».
L’ambassadeur des États-Unis au Cambodge, W. Patrick Murphy, qui était présent au tribunal, a dénoncé le procès et la sentence comme une « erreur judiciaire ».
« Les Etats-Unis sont profondément troublés par la condamnation du leader politique respecté Kem Sokha », a-t-il déclaré aux journalistes.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui a rencontré Kem Sokha à Phnom Penh en août, s’était dit « déçu » par le temps qu’a pris la procédure judiciaire « motivée par des raisons politiques ».
Kem Sokha, 69 ans, a été arrêté en septembre 2017 lors d’une opération nocturne impliquant des centaines d’agents de sécurité, accusé d’avoir voulu renverser le gouvernement du Premier ministre Hun Sen, au pouvoir depuis 1985.
Un système judiciaire « sous contrôle »
Selon ses détracteurs, Hun Sen – le plus ancien dirigeant d’Asie – a fait reculer les libertés démocratiques et utilisé les tribunaux pour étouffer les opposants, emprisonnant de nombreux militants et défenseurs des droits de l’Homme.
Le PSNC avait réalisé une percée aux élections de 2013, remportant 55 sièges sur 123, avant d’être dissous quatre ans plus tard par la Cour suprême du pays. Au scrutin qui avait suivi, en 2018, le parti de Hun Sen avait raflé l’intégralité des sièges au Parlement, des résultats vivement contestés.
En l’absence d’opposition visible, le dirigeant cambodgien, ancien combattant khmer rouge entré en dissidence du mouvement, qui a gravi les échelons durant l’occupation du Cambodge par le Vietnam, se dirige à 70 ans vers une nouvelle victoire écrasante aux législatives de juillet.
La fermeture jugée arbitraire de l’un des derniers médias indépendants du royaume, Voice of Democracy, mi-février, a ravivé les inquiétudes autour de la tenue d’élections libres et équitables.
Le procès de Kem Sohka a illustré le « problème effrayant du contrôle de l’Etat sur le système judiciaire dans le pays », a pointé le directeur exécutif du Centre cambodgien pour les droits de l’Homme, Chak Sopheap.
« La démocratie cambodgienne qui touche le fond »
« Les autoritaires ont gagné » au Cambodge, a relevé Phil Robertson de l’ONG Human Rights Watch. « C’est la démocratie cambodgienne qui touche le fond .
« Envoyer Kem Sokha en prison n’a pas seulement pour but de détruire son parti politique, mais aussi d’écraser tout espoir d’organiser de véritables élections générales en juillet .
Le recours aux tribunaux pour traquer les opposants « ne connaît aucune limite », selon Amnesty International. « Le système judiciaire cambodgien a une fois de plus fait preuve d’un manque d’indépendance ahurissant », a déploré Ming Yu Hah, directeur régional adjoint d’Amnesty International.
Sam Rainsy, figure de l’opposition en exil, qui vit en France depuis 2015 pour éviter la prison en raison d’un certain nombre de condamnations qui, selon lui, sont motivées par des considérations politiques, a déclaré que le procès était fondé sur des « accusations fabriquées de toutes pièces ».
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