Au dernier étage d’un immeuble d’Osaka, celle pour qui on a traversé le globe apparaît enfin au détour d’une ruche, longue robe grise, escarpins et perles aux oreilles. Pas l’once d’une Lara Croft sous ces austères atours de première dame. Le prix de la crédibilité, se console-t-on. Débarquée deux jours plus tôt de Los Angeles avec son fils Pax et le traditionnel aréopage hollywoodien – coiffeur, garde du corps, photographe, maquilleuse, attachée de presse –, Angelina Jolie semble flotter dans la ouate du jet lag.
Fatiguée ? « Je suis heureuse d’être ici », balaie l’actrice avant de mettre les choses au clair : elle n’est pas venue parler d’elle mais de Women for Bees, un programme d’entrepreneuriat agricole initié par Guerlain dont elle est la marraine et qui soutient des apicultrices du monde entier. À la clé, la biodiversité, mais également l’autonomie des femmes dans des régions défavorisées… ou non. Le Japon, quatrième puissance économique mondiale, n’est pas exactement le tiers-monde, mais l’égalité entre les sexes y demeure un combat balbutiant. De cela non plus, Angelina Jolie ne tient pas à parler, tout autant soucieuse de ne pas se poser en donneuse de leçons que de ne pas se laisser entraîner sur un terrain qu’elle n’aurait pas choisi.
Angelina le reconnaît : elle n’a aucune aptitude au bonheur
À ce stade, on craint de ressortir bredouille de la conversation. « Je prends tout ce que je fais trop au sérieux pour tolérer la moindre approximation », justifie celle qui a quitté l’an dernier ses fonctions d’ambassadrice des Nations unies après deux décennies de bons et loyaux services. On décèle sur son visage de madone une profonde mélancolie, peut-être ramenée, tel un encombrant bagage, des camps de réfugiés et des zones de guerre devenus son territoire. À moins que la plus belle femme du monde ne traverse, comme le commun des mortels, une crise de la cinquantaine qu’on se gardera de nommer. Ou qu’elle soit contrariée par les récentes victoires juridiques remportées par Brad Pitt dans la bataille menée autour de leur château de Miraval, autre terrain miné.
Main de fer dans un cachemire taille 34, l’actrice commence par dire non à tout. Il faut longuement argumenter, louvoyer et rassurer avant qu’elle accepte de fendiller l’armure, étonnamment vulnérable. Elle confie qu’à force de se consacrer aux autres, elle a parfois eu l’impression de se perdre. Et le reconnaît avec une franchise confondante : elle n’a aucune aptitude au bonheur. Entretien sur le fil avec une star en pleine mutation.
Loin des tapis rouges, changement de style pour Angelina (au centre) qui découvre le confort relatif de la tenue d’apicultrice. © KEIICHIRO NAKAJIMA
Paris Match. Pourquoi avoir choisi de soutenir ce programme en faveur des femmes et des abeilles ?
Angelina Jolie. Depuis près de vingt ans, je suis engagée au Cambodge dans des projets de lutte contre la déforestation et de soutien au développement communautaire. C’est là que j’ai pleinement pris conscience de la menace qui pèse sur les abeilles. Leur disparition serait une catastrophe pour la biodiversité. Avec la maison Guerlain, nous avons travaillé sur cette problématique, mais aussi sur la question des femmes, des opportunités d’éducation et de subsistance qui s’offrent à elles. J’ai trouvé cette initiative pertinente, j’ai décidé de m’investir.
On en est encore à devoir expliquer qu’une fille a de la valeur pour sa famille, pour sa communauté
Angelina Jolie
Quels sont vos critères de sélection lorsque vous vous engagez en faveur d’une cause ?
Tous mes engagements sont étroitement liés entre eux et ce programme Women for Bees y a naturellement pris sa place. Je crois fermement que tous les humains sont égaux. À travers le monde, on constate trop souvent un “deux poids, deux mesures”, comme si les vies n’avaient pas toutes la même valeur, comme si les droits humains n’étaient pas tous dignes d’être défendus. Ce principe de la valeur égale de toutes les vies, l’égalité des droits à la sécurité et à la dignité pour toutes les femmes et tous les enfants, voilà ce qui préside à mes engagements.
Avec Women for Bees, vous conjuguez biodiversité et féminisme, en tout cas défense des droits de la femme. Ce n’est pas forcément une alliance attendue…
Le sujet de la biodiversité n’est évidemment pas genré. Il nous concerne tous, y compris les enfants. Mais à force de travailler sur ces questions, j’ai réalisé qu’il était capital d’impliquer les femmes, et cela à tous les niveaux. Une société dans laquelle les deux sexes travaillent main dans la main est forcément plus saine. Malheureusement, il existe des freins partout dans le monde, des logiques persistantes de contrôle et d’abus. On en est encore à devoir expliquer qu’une fille a de la valeur pour sa famille, pour sa communauté. Dans bien des pays, il reste difficile pour une femme de s’octroyer du temps pour elle, d’exercer un leadership, d’avoir des opportunités.
À la découverte des ruches. D’ici à 2025, le programme permettra d’en installer 2500 dans le monde. Soit 125 millions d’abeilles. © KEIICHIRO NAKAJIMA
Certains pays développés, comme le Japon où nous nous trouvons aujourd’hui, ne font pas exception…
Les pays ont une longue histoire derrière eux, les changements ne peuvent s’opérer du jour au lendemain. Ils doivent venir de l’intérieur. Chaque société fait ses propres choix. Qui sommes-nous pour juger de ce qui est bien, de ce qui est mieux ? Je crois qu’une société sera plus forte, plus équilibrée, si les femmes et les hommes peuvent exprimer ouvertement ce qu’ils pensent. Là où la voix des femmes n’est pas ou peu entendue, les rapports sociaux ne peuvent pas être sains.
Qu’est-ce qu’une femme forte, selon vous ?
Une femme fidèle à ses convictions, mais aussi une femme douce et qui possède une grande solidité intérieure. J’ai grandi avec l’idée qu’une femme, pour être forte, devait se comporter comme un homme. Et nous sommes nombreuses à avoir cru que c’était ce que nous devions faire. Cette obsession nous a en réalité desservies. Lorsque vous vous sentez isolée, peu soutenue, menacée, vous vous battez. Et si personne ne vous écoute, vous donnez de la voix encore plus fort. Rien de tout cela n’est en accord avec la véritable nature de la femme. Je ne tiens pas ces propos parce que je pense avoir tout compris, mais en tant que femme aux prises avec ces interrogations essentielles. Ce que je sais, c’est que lorsque je me sens en sécurité, et que je peux exprimer de la douceur, je ressens une grande force intérieure.
J’ai vu une femme blessée, ignorée, à la délicatesse bafouée
Angelina Jolie sur sa mère
Avez-vous des modèles, des sources d’inspiration ?
Ma mère. Elle était justement pleine de douceur et de sensibilité, et je l’ai vue subir une pression immense. J’ai vu une femme blessée, ignorée, à la délicatesse bafouée. Parce que j’avais compris que sa bienveillance ne garantissait pas sa sécurité, j’ai opté pour une autre force, qui me semblait plus sûre. Je n’ai pas su apprécier les mérites de la douceur. C’est avec l’âge que j’en ai pris conscience et que j’ai pu mesurer les bienfaits de la gentillesse.
Est-ce ce qui vous a poussée à vous engager ?
Aujourd’hui encore, je continue à me chercher, même si j’ai pu croire, à un certain moment, bien me connaître. J’ai consacré une grande partie de ma vie à rechercher l’authenticité parce que j’avais grandi dans un milieu qui en manquait cruellement. J’ai voulu être appréciée pour ce que j’étais vraiment, au plus profond de moi-même, et non pour des choses superficielles. J’ai essayé de comprendre le monde qui m’entourait et d’y prendre part, avec les autres, en leur donnant quelque chose. Mais je ne crois pas être encore parvenue à trouver la voie ultime.
Je n’ai pas l’impression d’être mère un jour et d’être quelqu’un d’autre le lendemain
Angelina Jolie
Vous cherchez toujours votre moteur ?
Le seul fait dont je sois sûre, c’est que j’ai toujours été très sensible à l’injustice. Quand un enfant était harcelé à l’école, ça me révoltait. C’est sans doute pour cette raison que j’ai eu une période punk dans ma folle jeunesse ! [Rires.] J’ai grandi entourée de choses considérées comme précieuses mais qui, à mes yeux, ne l’étaient pas. À présent, je passe beaucoup de temps à rechercher ce qui a de la valeur. Une vraie valeur.
Comment trouvez-vous l’énergie d’être aussi active ?
Je ne me disperse pas. J’élève mes enfants et je me concentre sur mon travail.
Vos enfants acceptent-ils ces engagements qui vous éloignent souvent d’eux ?
Maintenant qu’ils sont plus grands, ils travaillent avec moi sur différents projets ! Nos vies sont très liées les unes aux autres, nous partageons notre quotidien. Je n’ai pas l’impression d’être mère un jour et d’être quelqu’un d’autre le lendemain.
Il y a bien longtemps que je n’ai pas éprouvé un authentique sentiment de légèreté
Angelina Jolie
Comment conciliez-vous votre vie de militante et celle d’actrice ?
Je fais parfaitement la différence entre le monde réel et celui du cinéma ! Le cinéma ne représente qu’une partie de ma vie. C’est un travail dans lequel j’essaie de me montrer la plus créative possible. Mon passage sur les tapis rouges ne dure que quelques heures : ce n’est pas ma vie, juste un moment.
Vous avez dit un jour que vous aviez besoin de redécouvrir la joie. Y êtes-vous parvenue ?
Il y a bien longtemps que je n’ai pas éprouvé un authentique sentiment de légèreté ou été prise d’un grand éclat de rire. Je souhaite me concentrer sur la douceur, sur la chaleur, la gentillesse. J’aimerais les ressentir pleinement, mais je n’y suis pas arrivée depuis un bon moment. Comme tout le monde, je me préoccupe avant tout de ceux que j’aime et je passe par des périodes difficiles. Rire à gorge déployée, ressentir une authentique légèreté : ce sont des émotions très importantes que nous devons enseigner à nos enfants. Nous devons trouver le moyen de leur apprendre à profiter pleinement de la vie, que ce soit en embrassant de folles aventures ou même en faisant des bêtises. Je pense beaucoup à tout cela et, hélas, je ne crois pas avoir été le meilleur exemple en la matière. Mais je compte bien y travailler.
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