À Cannes, Rithy Panh nous donne « Rendez-vous avec Pol Pot

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En présentant le nouveau film de Rithy Panh au public nombreux de la salle Debussy – c’était jeudi soir, lors de l’ouverture de la section Cannes Première du festival –, Thierry Frémaux a évoqué Claude Lanzmann. Référence majestueuse, écrasante. Référence justifiée aussi tant l’œuvre qu’accomplit inlassablement Rithy Panh depuis trente ans est une œuvre de mémoire essentielle, d’une remarquable puissance artistique.

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Le cinéaste cambodgien, qui avait 10 ans à l’arrivée au pouvoir des Khmers rouges, bâtit son œuvre documentaire – Duch, le maître des forges de l’enfer, L’Image manquante ou encore S21, la machine de mort khmère rouge – pour explorer les mécanismes du mal, comprendre le fonctionnement du régime, donner à voir les traces indélébiles laissées sur les survivants, redonner leur place aux millions de victimes sans nom et sans visage.

Une métaphore de l’aveuglement d’une partie de l’intelligentsia française

Mais Rithy Panh est aussi un cinéaste de fiction, dont le très beau film Les Gens de la rizière avait d’ailleurs été, il y a tout juste 30 ans, le premier film cambodgien en compétition au Festival de Cannes. Rendez-vous avec Pol Pot appartient à cette veine de son cinéma. On y suit trois journalistes français – Lise (Irène Jacob), Alain (Grégoire Colin) et Paul (Cyril Gueï) – en reportage au Cambodge, en 1978.

Reportage est, du reste, un bien grand mot puisque le trio est encadré par les Khmers rouges de façon tellement stricte qu’il a très vite le sentiment d’être en résidence surveillée. Bien vite, Lise et Paul se rebiffent contre les limites qu’on leur impose, montrent qu’ils ne sont pas dupes des mensonges qu’on leur vend lors de visites dans des coopératives qui ont tout du village Potemkine. Et pourtant, avec une terrible naïveté, ils commettent des erreurs : ainsi, Paul, souhaitant désespérément recueillir une parole authentique, choisit au hasard un paysan pour lui parler… au risque de lui coûter la vie.

De son côté, Alain – qui a connu Pol Pot à la Sorbonne et se prétend son ami – refuse d’ouvrir les yeux et persiste à faire l’éloge d’une idéologie et d’un gouvernement qu’il juge animés par de nobles idéaux. Dans une scène remarquable, Rithy Panh montre un jeu des Khmers rouges pour humilier l’intellectuel français : les yeux bandés, on lui fait toucher un déguisement d’éléphant et on ricane de ce qu’il croit deviner et qui n’a bien sûr rien à voir. Métaphore puissante de l’aveuglement d’une partie de l’intelligentsia française. Alain ne voit pas ce que les Anglo-Saxons appellent « l’éléphant dans la pièce », c’est-à-dire l’évidence : sa chère révolution khmère rouge dissimule un régime génocidaire.

Une histoire vraie

Pour comprendre les origines du film, il faut remonter au livre d’Elizabeth Becker traduit en français sous le titre Les Larmes du Cambodge (When The War Was Over : Cambodia and the Khmer Rouge Revolution) et paru en 1986. La journaliste du Washington Post y évoque en quelques lignes une jeune femme, Bophana, qui avait été sa traductrice lors de précédents reportages et dont elle avait perdu la trace après la prise de pouvoir des Khmers rouges. Dans un magnifique documentaire de 1996, Rithy Panh avait enquêté et reconstitué l’itinéraire de Bophana jusqu’à son arrestation et sa mort sous la torture à S21.

Dans son livre, Elizabeth Becker raconte aussi son voyage de décembre 1978 au Cambodge. Avec deux confrères, Malcolm Caldwell et Richard Dudman, ils sont les premiers journalistes occidentaux à obtenir le droit d’entrer dans le pays depuis la prise de pouvoir des Khmers rouges. Le jour précédant son départ du pays, le trio se retrouve dans une pièce avec Pol Pot et enregistre une interview avec celui que l’on appelle « Frère numéro un ». Quelques heures plus tard, dans la résidence où elle dort, Elizabeth Becker est réveillée par des coups de feu. Malcolm Caldwell est tué.

Pour raconter cette histoire, Rithy Panh entremêle images documentaires, plans avec des maquettes et des figurines de terre cuite et scènes jouées par les comédiens (tous excellents). Ça pourrait être artificiel ou aride. Or ce qui se produit est, au contraire, un miracle de cinéma, une grande fluidité entre les différents niveaux de narration.

Il y a là un principe éthique fort : quand il montre des cadavres ou des personnes mourant de faim, Rithy Panh emploie des images réelles, il ne fictionnalise jamais. Et les petites figurines déjà utilisées dans ses films documentaires permettent également d’évoquer les massacres de façon symbolique et puissante. Enfin, quand les personnages du film se retrouvent face à Pol Pot, on l’entend parler mais son visage reste dans l’ombre. Encore et toujours, semble nous dire Rithy Panh, le visage du mal reste impénétrable.

Sortie en salle le 5 juin.



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